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Lundi 24 avril 2023

Musicothérapie : quand la musique peut soigner 

Instinctivement, on sait qu’elle fait du bien. La musique enchante, détend, réconforte, stimule… Si l’on est triste, il suffit parfois d’écouter notre chanson préférée pour se sentir mieux. L’envoûtement d’une musique calme pourra nous aider à nous détendre après une journée stressante. Elle nous dynamise si besoin le matin ou pour accompagner une session de sport. Mais cela peut aller plus loin. Les musicothérapeutes sont formés à soigner, ou du moins à soulager, toute sorte de troubles par la musique. Cette « art-thérapie » fait l’objet d’une véritable formation, reconnue au niveau médical, et dont les soins peuvent être pris en charge par l’assurance. On trouve des musicothérapeutes en institution, dans les hôpitaux et en cabinets privés. Comment travaillent-ils et quels sont les troubles sur lesquels la musicothérapie peut agir ? Au travers de l’expérience de Prune Lüdi, musicothérapeute à Lausanne, découvrez quel rôle la musique peut jouer dans les soins à la personne. 

Les vertus de la musique sur la santé psychique et physique ont été considérablement étudiées tout au long du 20e siècle. La science a mis en avant les effets neurophysiologiques de la musique, notamment son action sur le rythme cardiaque, respiratoire et sur la pression artérielle, en fonction du style de musique utilisé. Son effet relaxant permettrait de réduire le niveau de cortisol et d’agir sur l’anxiété et le stress. Elle peut ainsi être employée pour calmer des patients souffrant de maladies respiratoires ou cardiaques. L’imagerie fonctionnelle a également permis de mieux comprendre l’effet de la musique sur le cerveau : certaines musiques agiraient directement sur les composantes multidimensionnelles de la douleur, en provoquant une sécrétion d’endorphine. Elle aiderait ainsi à réduire la sensation de douleur dans des maladies comme la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrose, les maux de tête ou de dos, ou chez les patients ayant subi une chirurgie ou de la chimiothérapie. Enfin, de nombreuses études se sont penchées sur le rôle de la musique et de la voix de la mère dans le développement du bébé in utero, mais aussi sur les nouveau-nés en service de néonatalogie.  

Les résultats de ces études ont conduit à utiliser la musique dans des secteurs très variés : le soin aux personnes âgées atteintes de démences et autres pathologies, les troubles autistiques, le milieu carcéral, les services de néonatalogie et, plus généralement, les troubles psychologiques, ou encore le développement personnel. Un métier s’est naturellement constitué autour de ce besoin d’intervenir auprès de patients ou de clients pouvant bénéficier d’une thérapie par la musique : celui de musicothérapeute.  

Parcours d’une musicothérapeute 

De son aveu, la musique a structuré l’enfance de Prune Lüdi. Née à Hong Kong, elle commence le piano à l’âge de 4 ans, puis poursuit l’étude de cet instrument lorsqu’elle emménage en Suisse alémanique à 13 ans. Encouragée à s’inscrire au Conservatoire pour suivre une formation professionnelle, elle décide finalement d’y renoncer, l’esprit de compétition qui y règne ne lui convenant pas. Elle part alors suivre une formation à l’American Institute of Music à Vienne, où elle obtient un diplôme de chant, jazz et variétés. Installée en France, elle y enseignera le piano et le chant durant plusieurs années. Là, il arrive que les élèves lui confient leurs soucis durant les cours. En les aidant à poser leurs problèmes en musique, au piano et en chanson, l’approche de Prune Lüdi se place, sans qu’elle le sache, dans une approche thérapeutique par la musique. Mais c’est en Suisse qu’elle va découvrir véritablement ce métier un peu hors du commun. « Je suis tombée sur la brochure de musicothérapie dans un office régional de placement lorsque je cherchais du travail, et ça a fait tilt », décrit la musicothérapeute. Elle s’inscrit à la formation à l’Ecole Romande de Musicothérapie à Genève qui nécessite, au préalable, une formation instrumentale ou vocale, ainsi qu’une expérience professionnelle dans le domaine de la santé, de la pédagogie ou du sociale. Prune Lüdi en sort diplômée en 2003, après trois ans d’études. Ensuite elle travaillera notamment auprès de personnes âgées, avec des personnes atteintes de déficience mentale, avec des patients ayant des troubles neurologiques, ou en recherche d’un développement personnel. En 2012, elle a poursuivi sa formation par un master en musicothérapie clinique au ZhdK (Zürcher Hochschule der Künste) Aujourd’hui, elle partage son temps entre son travail dans plusieurs institutions et un cabinet privé. Ce métier qu’elle a découvert un peu par hasard correspond aujourd’hui à ses valeurs et lui permet d’utiliser la musique, tout en apportant son aide aux gens. 

La musicothérapie en pratique 

On distingue deux méthodes principales en musicothérapie : la thérapie active et réceptive, pratiquée en individuel ou en groupe. 

L’approche active 

Dans la thérapie active, comme son nom l’indique, le patient/client et le musicothérapeute jouent ensemble sur divers instruments (percussions, xylophones, instruments à cordes, piano, voix) et en utilisant le mouvement. Dans cet espace d’exploration sonore, le patient/client est appelé à mettre en sons ce qu’il vit à l’intérieur de lui-même (tension, conflit, deuil, refoulement, etc.) et à se reconnecter à ses ressources personnelles. Le rôle du musicothérapeute consiste alors à le soutenir et à l’accompagner, mais aussi à contenir, accueillir, guider et parfois confronter les émotions exprimées. Il s’agit d’une approche non-verbale qui permet notamment aux personnes en rupture de communication de s’exprimer. Ainsi, une personne qui est souvent dans le contrôle d’elle-même au quotidien, pourra bénéficier d’un espace de liberté pour aller au contact de ses émotions, les exprimer et se reconnecter avec elle-même. Prune Lüdi travaille régulièrement avec ce type de patient, et avec eux, dit-elle, tout passe par le son : « je ne donne pas forcément de consigne, je ne leur dis pas ce qu’ils doivent faire. J’ai une boîte à outil musicale (« instrumentarium »), ils peuvent y choisir un instrument, et explorer ce dont ils ont envie, ce qui émerge sur le moment ». Dans cet espace de confiance, certaines émotions parfois refoulées – frustration, colère – peuvent s’exprimer, que ce soit grâce à un tambour, des sons joués au piano, parfois des cris. Le jeu ou l’improvisation permettent aussi de se « lâcher ».  

A noter qu’il n’est pas nécessaire d’être musicien pour bénéficier de la musicothérapie active, car le but n’est pas esthétique, ni d’atteindre un certain niveau musical. Les personnes qui savent jouer d’un instrument, explique Prune Lüdi, peuvent ainsi parfois avoir du mal à lâcher prise. « Certains seront peut-être mal à l’aise sans partition. En musicothérapie, la personne ne doit pas chercher les notes, ni savoir comment jouer, mais être, si possible, dans une improvisation ou un jeu spontané ».  

L’approche réceptive 

Dans la thérapie réceptive, le patient/client et la musicothérapeute écoutent de la musique enregistrée ou, selon les situations et les bénéfices recherchés (en général être apaisé ou dynamisé), le musicothérapeute peut jouer ou chanter pour le patient/client. « Avant tout, j’essaie de comprendre le parcours ou « identité sonore » de la personne, de connaître ses goûts, explique Prune Lüdi. Quels sons aime-t-il ou non, y a-t-il un instrument qu’il n’apprécie pas ? Ensemble, on va chercher à comprendre ce qu’il y a derrière, ce que cela lui rappelle, et faire des liens avec d’éventuels conflits intérieurs ». Ce qui détend ou énergise une personne pourrait avoir l’effet totalement inverse sur une autre. « Ce qui va me faire du bien à moi, ne va pas forcément vous faire du bien à vous. Par exemple, la musique de Mozart ne calme pas tout le monde ». Le musicothérapeute doit donc faire preuve d’une constante adaptation à la personne et à ses goûts, mais aussi aux troubles dont elle souffre, car certaines sonorités ou musiques (des sons puissants de gong ou de trompette, des rythmes très rapides) peuvent, dans des cas très extrêmes, provoquer chez certaines personnes des crises d’épilepsie. Mais selon Prune Lüdi, là encore, on ne peut pas faire de généralités : « Ce n’est pas un médicament. On ne peut pas dire qu’une certaine musique va forcément déclencher telle ou telle réaction, ou avoir un effet bien particulier ». 

Les résultats de la méthode réceptive peuvent parfois être impressionnants, notamment avec les personnes souffrant de maladies neurodégénératives ou de lésions cérébrales. Ainsi, dans sa pratique avec des patients atteints d’Alzheimer, Prune Lüdi a observé que certains d’entre eux parvenaient à se rappeler des mélodies de chanson ! Cela va dans le sens des recherches initiées par le neurologue Hervé Platel sur le lien entre musique et mémoire qui ont notamment mis en évidence qu’il reste bel et bien des capacités de mémorisation chez les patients atteints d’Alzheimer. Les voies d’entrées de la musique dans le cerveau, beaucoup plus complexes que celles de la parole, permettent d’augmenter la plasticité du cerveau et de provoquer des modifications au niveau des connections synaptiques. La thérapie réceptive permettrait ainsi de lutter contre l’apathie que cause la maladie d’Alzheimer, en éveillant les patients et en les stimulant, et permettrait aussi de les rassurer. Elle porte ses fruits aussi chez des patients atteints de lésion cérébrales. Une patiente suivie par Prune Lüdi ne parvient à s’exprimer que par des phrases ou des mots incohérents. Mais grâce au travail d’improvisation vocale par le chant, elle parvient parfois à communiquer de manière cohérente, en chantant.  

Des approches différentes pour un métier varié 

Selon sa formation, sa propre pratique musicale, et le patient qu’il a face à lui, chaque thérapeute privilégiera une intervention différente : réceptive, active, ou qui combine les deux approches.  

De nombreuses thématiques peuvent être abordées par la musicothérapie, notamment avec des personnes en quête de développement personnel : le deuil, la dépendance, la timidité, la confiance en soi, le ressenti et l’expression des émotions, la stimulation de la créativité, la diminution des douleurs, la détente, etc. 

Le métier de musicothérapeute nécessite une pratique musicale solide, instrumentale et vocale, une bonne connaissance du patrimoine musical, une fibre pédagogique et un intérêt pour la psychologie de l’enfant et de l’adulte. Humainement, la profession demande de l’empathie et un bon sens de l’écoute, de l’observation et de la communication. 

Les musicothérapeutes sont recherchés dans différents services hospitaliers, notamment en néonatalogie, en soins palliatifs, en EMS, ou en institutions spécialisées, et peuvent également s’établir comme indépendants. Les musicothérapeutes comme Prune Lüdi qui ont effectué un diplôme fédéral voient leurs prestations remboursées par certaines assurances complémentaires. 

 

Liens : 

Convergences : Centre de musicothérapie à Lausanne   

« Les bienfaits de la musicothérapie sont sous-estimés » | France Alzheimer 

La musicothérapie et la maladie d’Alzheimer (radiofrance.fr) 

Musicothérapie - Définition, Bienfaits, Grands Principes - Doctonat 

Musique et mémoire. Entretien avec Hervé Platel, neuropsychologue. - Ensemble intercontemporain 

Peut-on soigner par la musique ? - Les Inrocks