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Vendredi 18 août 2023

La « musique » des animaux

Tu as déjà dû l’entendre : on dit que les oiseaux chantent, mais on parle aussi du « chant » des cigales ou des baleines. On dit en revanche que les loups hurlent à la lune. Dans toutes ces situations, les animaux produisent des sons qui nous semblent plus ou moins mélodieux. Découvre dans cet article quel rôle ils jouent dans le règne animal.

A l’oreille humaine, les sons produits par les animaux semblent courts, longs, aigus, graves, organisés en « fréquence » ou modulés, en séquences ou non. Y a-t-il une quelconque visée artistique de leur part ? Produisent-ils ces sons, chants, cris, plaintes, etc. pour leur plaisir ? Pour comprendre les vocalises produites par différentes espèces animales (mais aussi par les humains, et les espèces végétales !), les scientifiques ont adopté une démarche d’observation et d’analyse d’enregistrements et d’écoutes des sons produits par les organismes biologiques : la bioacoustique (mot composé du mot biologique et acoustique). Leur objectif : identifier et comprendre leurs significations. Le point commun général à l’origine de ces différentes sonorités, et ce quelle que soit l’espèce dont elles proviennent, est la communication.

Ça fait chanter les oiseaux 

Les ornithologues, les scientifiques qui étudient les oiseaux, ont très probablement été les premiers à ouvrir la voie à la bioacoustique. En effet, avec les quelques 10 à 13'000 espèces d’oiseaux qui peuplent notre planète, impossible de ne pas remarquer la diversité de leurs chants. Et plus remarquable encore, ces chants ne diffèrent pas seulement entre les espèces, mais aussi au sein d’une même espèce !

L’organe vocal des oiseaux est le syrinx. On peut donc nommer les sons émis par les oiseaux des vocalisations. En raison de l’emplacement du syrinx chez les oiseaux, à l’intersection de la trachée et des bronches, ils possèdent deux sources sonores, ce qui leur permet de produire des vocalisations à deux voix, indépendamment ou simultanément !

On dit que la mouette crie mais que le merle chante. Mais pourquoi faire cette différence ? Il ne s’agit pas que d’un simple jugement artistique, mais de véritables caractéristiques acoustiques. Ainsi, les cris sont des vocalisations de courte durée, de structure souvent complexe. Ils peuvent être constitués par plusieurs fréquences produites en même temps, ayant ou non un rapport harmonique entre elles. Alors que les chants sont en général constitués de plusieurs unités sonores, souvent des sons purs, enchaînées dans une séquence.

On dit que les cris sont innés, car ils peuvent être produits sans apprentissage. Ils permettent de quémander de la nourriture, de maintenir un contact à distance ou de donner l’alarme. Alors que les chants, plus complexes, nécessitent généralement un apprentissage par imitation (notamment pour les vocalisations de longue durée, constituées par l’enchaînement d’unités sonores différentes). Ils sont associés à des échanges plus subtiles qui seront présentés un peu plus loin.

Si l’on prend quatre espèces d’oiseaux, on constatera, à l’oreille, ou en regardant un sonogramme, qu’elles produisent des unités sonores diverses, agencées et structurées de manières différentes. Ce sont ces différences qui permettront d’identifier les espèces. À leur échelle, les oiseaux eux-mêmes les utilisent pour se distinguer. Ce qui peut surprendre, c’est qu’au sein d’une même espèce, les vocalisations varient aussi ! Plus les individus d’une même espèce sont proches géographiquement, plus leurs vocalisations seront semblables, et vice versa. On parle alors de « dialectes », comme pour les différents langages humains. Cela fait sens ! Rappelons que chez les oiseaux, les chants sont des vocalisations transmises par l’apprentissage. Ils peuvent donc varier légèrement d’une région à l’autre, voire, d’un parc à l’autre ! On parle dans ce cas de microdialectes.

Mais au fond, pourquoi les oiseaux chantent-ils ? En plus de transmettre leur identité spécifique (leur localité géographique d’origine via le dialecte, dont on a parlé plus haut), d’autres informations sont codées, décodées et interprétées dans les chants des oiseaux. Ils peuvent par exemple signaler leur présence sur un territoire pour le défendre et, par l’étendue de leur répertoire, les mâles essaient d’attirer les femelles en vue de la reproduction. En effet, les scientifiques ont constaté que l’ampleurdu répertoire était souvent corrélée chez de nombreuses espèces avec l’âge, la condition physique du mâle, et la survie des jeunes. Il est donc possible que les femelles perçoivent dans les chants des indications sur la qualité des mâles et que cela participe au choix de leur partenaire.

Mais attention, messieurs oiseaux ne sont pas les seuls à pousser la chansonnette : l’observation et l’écoute des oiseaux ont montré que les chants peuvent être produits par les mâles et les femelles, de manière individuelle, ou en duos !

Lien pour écouter le chant du Rossignol

Chant d'oiseau : Rossignol Philomèle - Bing video

Lien pour écouter le chant du Merle

Chant du Merle Noir au Printemps / Amselgesang im Frühling / Blackbird Song / - Bing video

Lien pour écouter le chant du Rouge gorge

le chant du Rouge gorge - Bing video

Les baleines à bosse, l’un des chants les plus complexes du règne animal

Tous les cétacés, 89 espèces dans nos fonds marins, produisent des sons. Ces mammifères sont répartis en deux familles. Les odontoncètes qui ont des dents (les dauphins, les cachalots, etc.) produisent des clics et des sifflements. En revanche, les mysticènes qui ont des fanons (comme les baleines à bosse, les belugas, etc.) font des vocalises grâce à leur système respiratoire : une poche au niveau de la trachée, tenue par deux cartilages recouverts d’une membrane, qui vibre lorsque l’air passe du poumon vers cette poche. C’est cette vibration, comme une anche de saxophone ou de basson, qui produit les vocalises.

Jusqu’au début des années 70, on ignorait qu’il y avait des sons dans l’océan. En 1971, des chercheurs américains, Roger Payne et Scott McVay, découvrent, en analysant des enregistrements d’émissions sonores provenant de l’US Navy à Hawaï, des vocalisations répétées en boucle par des baleines à bosse. Les chants sont organisés en sons continus isolés (on parle alors d’unités sonores). Chaque unité, qui dure entre une et quelques secondes, est entre-coupée de deux silences. Les chercheurs remarquent alors que ces unités sont émises dans un ordre spécifique qui forme des séquences, et que celles-ci sont également organisées entre elles.

Une baleine répète généralement une même phrase pendant deux à quatre minutes. On appelle cela un thème. Une suite de thèmes forme un chant d’environ 20 minutes qui peut être répété pendant des heures, voire des jours entiers ! Plus intéressant encore, le chant d’une baleine évolue avec le temps et avec l’âge de l’animal (et elles peuvent vivre 100 ans ou plus). La transmission des chants se ferait de génération en génération, et d’adulte à adulte. Une étude menée sur 19 ans a montré qu’un chant qui a évolué ne reviendra jamais en arrière. On peut donc parler d’une véritable culture !

Quelles sont les fonctions de ces chants ? Les sons produits par l’ensemble des cétacés fonctionnent comme des sonars qui leur permettent de s’orienter dans les fonds marins, là où la lumière fait défaut. Les sons joueraient ainsi un rôle pour naviguer dans leur milieu, d’une faible visibilité mais où le son se propage bien, et leur permettraient de détecter des obstacles notamment. Mais le chant des baleines à bosse rempli de nombreuses autres fonctions, et certaines restent encore à découvrir…

Les recherches actuelles ont pour hypothèse que, comme pour de nombreuses espèces, les chants produits par les mâles durant la saison des amours auraient un rôle à jouer dans la sélection d’une partenaire.

Une autre fonction serait « l’appel au repas ». Il s’agit alors d’un chant relativement long, d’une fréquence et d’une amplitude constante, et qui leur permettrait de se rassembler pour attaquer les bancs de poissons.

Le 33 tours « Songs of the Humpback Whale » (chants de la baleine à bosse) sorti à la suite des enregistrements du chercheur Roger Payne dans les années 70 fut un véritable succès : 100'000 exemplaires écoulés. On retrouve certains de ses extraits dans les morceaux d’artistes comme Léo Ferré ou Kate Bush.

Songs Of The Humpback Whale - by Dr. Roger Payne - Bing video

Les cigales ne sont pas en reste !

Ah, les cigales… Pour beaucoup, leur chant est associé à la Provence et à l’été… Selon la fable de La Fontaine, la cigale chante tout l’été et se trouve fort dépourvue à l’arrivée de l’hiver. Alors qu’en est-il ?

Contrairement aux oiseaux, chez les cigales, seuls les mâles « chantent ». On parle de cymbalisation (eh oui, comme les cymbales !), un chant nuptial qu’ils entonnent pour attirer les femelles de la même espèce… Chez la cigale, les cymbales constituent un organe phonatoire situé sous l’abdomen et qui fonctionne comme une caisse de résonnance. Les muscles de cet organe se contractent et se relâchent à une fréquence de 300 à 900 fois par seconde, produisant des clik-clak assourdissants. Les chants de certaines espèces peuvent d’ailleurs atteindre 90 décibels, le record étant attribué à la cigale épicier vert : 120 décibels ! Ainsi, pour protéger leurs tympans du bruit, les cigales peuvent les détendre pendant le chant.

Des particularités morphologiques permettent en principe d’identifier les espèces de cigales. Mais les entomologistes, les scientifiques spécialisés dans l’étude des insectes, ont remarqué que la seule chose qui permet de différencier certaines d’entre elles est justement leur chant. Cela se joue généralement à des notes faibles, plus ou moins aigües, à la limite de la perception, mais que les spécialistes sont capables de reconnaître… ainsi que les femelles, bien sûr, qui ne sont sensibles qu’au chant de leur espèce.

Si l’on entend plus souvent les cigales chanter en été, c’est qu’elles ont besoin d’une température élevée, autour de 25 degrés, à la fois pour que leur abdomen devienne souple et leur permette d’effectuer leurs vocalises, mais aussi pour permettre la reproduction. Les mâles chantent ainsi plus fort en été, pour attirer le plus possible les femelles !

Lien pour écouter le chant des cigales

Les cigales filmées et leurs magnifiques chants dans la garrigue en Provence - Bing video

Le concerto des loups

Le loup, ancêtre du chien, est un animal social par excellence. Il utilise donc la communication, tant avec les membres de la meute qu’envers les individus étrangers, au travers de gémissements, grognements, hurlements…

Apparaissant comme de petits concerts à l’oreille humaine, les hurlements des loups fonctionnent comme un appel. Ils permettent de se mobiliser avant de partir en chasse, chaque membre de la meute indiquant sa position et s’attendant à recevoir la même information en retour. Ils serviraient aussi à renforcer la cohésion du groupe et à avertir d’autres meutes qui auraient la mauvaise idée de s’approcher de la zone convoitée…

Reflet de la hiérarchie et de la structure sociale établies dans la meute, les hurlements commencent avec ceux des loups alpha, mâle et femelle (les chefs de meute), sur un ton bas. Puis vient le hurlement du loup bêta, sur un ton plus haut, suivi des loups de niveau intermédiaire qui reproduisent des vocalisations variées, proches de l’aboiement, pour donner l’impression d’une grande meute.

Ecoute l’appel des membres d’une meute de loups :

hurlements de loups arctiques - Bing video

Un sens esthétique chez les animaux ?

Nous l’avons vu, les animaux ne « chantent » pas réellement et ne produisent pas de la « musique » dans un but artistique, mais utilisent les sons pour communiquer. Toutefois, chez les oiseaux, les femelles sont sensibles à la variété du répertoire du chant chez les mâles, et chez les cigales, il faut chanter fort pour se faire entendre par sa belle. Certains animaux auraient-ils donc la capacité à apprécier plus ou moins ce qu’ils entendent, un peu comme nous, humains ? Nous ne le saurons probablement jamais, mais une chose est sûre : la bioacoustique a encore bien des mystères à percer.

 

Lexique

Acoustique : qui sert à la perception des sons, relatif aux sons

Ornithologue : biologiste spécialisé dans l’étude et la protection des oiseaux et de leurs milieux

Syrinx : organe au fond de la trachée des oiseaux qui leur permet de produire des vocalises, comme le larynx chez les autres vertébrés

Inné : que nous portons en nous en naissant

Sonogramme : une représentation, utilisée pour l’analyse spectrale des sons variables et de la pression acoustique

Corrélé : qui présente un lien d’interdépendance

Cymbalisation : chant des cigales mâles pour attirer les cigales femelles

Entomologiste : scientifique professionnel, ou amateur, qui étudie les insectes

Ondontoncète : les cétacés à dents

Mysticène : cétacés qui possèdent des fanons

Fanons : lames cornées qui garnissent la mâchoire supérieure des mysticènes

Sonars : un appareil utilisant les propriétés particulières de la propagation du son dans l'eau pour détecter et situer les objets sous l'eau en indiquant leur direction et leur distance.

Loup alpha : on parle plutôt de couple alpha, ce sont les chefs de meute

Loup bêta : il occupe le deuxième rang dans la meute, après les loups alpha

 

Références

Bioacoustique — Wikipédia (wikipedia.org)

Comment et pourquoi les oiseaux chantent-ils ? | Planet-Vie (ens.fr)

Le langage des orques (cnrs.fr)

Sons nature : documents sonores illustrés, chants ou cris d’animaux - La Salamandre

L’éco-acoustique à l’écoute de la biodiversité (audiologie-demain.com)

La bioacoustique révolutionne l'étude des écosystèmes (science-et-vie.com)

Cicadidae — Wikipédia (wikipedia.org)

Chant des baleines — Wikipédia (wikipedia.org)

Comprendre le chant des baleines avec l'acoustique passive (futura-sciences.com)

Chants de baleines : que se racontent-elles ? (radiofrance.fr)

Sonar — Wikipédia (wikipedia.org)