Universel et capiteux, Carmen est l’un des opéras les plus joués au monde. À l’instar de son héroïne à l’œil noir, il est rebelle et sensuel, à la fois plein d’éclat et de noirceur, entre scènes intimes et chœurs triomphants. Georges Bizet séduit autant qu’il innove. Son coup de génie fascine ; au-delà de la partition, c’est aussi sous sa plume que naissent les vers les plus impérissables du livret, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Tout sert le drame. Avec une expressivité insolente, le rythme envoûte ; l’orchestration et ses accents hispanisants dépaysent. Sur les remparts de Séville, l’inoubliable bohémienne lance aux hommes une fleur, une habanera et une séguedille provocantes, comme autant de sorts. Sa liberté, la femme fatale la revendique. Comme elle l’a pressenti, elle disparaît dans un dernier duo « d’amort », dont Nietzsche dira : « Je ne connais aucun cas où l’esprit tragique, qui est l’essence de l’amour, revêt une forme aussi terrible que dans le cri de Don José : c’est moi qui l’ai tuée ». L’opéra est créé le 3 mars 1875 et Bizet meurt trois mois plus tard jour pour jour, au soir de la trente-troisième représentation.
Pour leurs débuts à l’Opéra de Lausanne, Jean-François Sivadier transforme la scène en formidable machine à jouer pour les artistes et avec l’imagination du public, et Jean-Marie Zeitouni, spécialiste de la musique française du XIXème siècle, dirige ce drame ardent. Cette production qui fait la part belle à la direction d’acteurs est l’occasion de revoir le chef-d’œuvre de Bizet, absent depuis 20 ans de notre scène.